Serigne Mansour Sy Djamil analyse la cérémonie de restitution du sabre D’El Hadji Oumar


Allahou Akbar (Dieu est plus Grand)

Cette formule que le musulman, partout dans le monde, prononce plus de soixante-dix fois par jour, durant les cinq prières, a retenti comme une clameur lorsque le Premier Ministre, de la France, Monsieur
Edouard Philipe, a remis à sa famille, le sabre attribué à El Hadj Oumar Foutiyou TALL. Je ne rentre pas dans le débat de savoir si c’est le vrai sabre ou pas; c’est la symbolique qui m’intéresse. La clameur d’Allahou Akbar qui retentit dans cette salle en terre sénégalaise, en présence d’une forte délégation française, des dignitaires du régime et des grandes familles religieuses représentées au niveau le plus élevé, restituait à la proclamation de foi son authenticité et à l’Islam sa dignité.

Allahou Akbar que les médias français ont complétement banalisé est devenue le cri de ralliement de tous les criminels de France et de Navarre. A chaque fois qu’il y a un attentat dans ce pays, on vérifie si le criminel quel que soit son origine a prononcé Allahou Akbar pour attribuer son acte au terrorisme islamique. Cette déduction au forceps frise le ridicule, alimente l’islamophobie et la haine du musulman.

Il y’a plus d’une semaine, un débat s’est instauré dans l’une des télévisions françaises sur le thème de la liberté d’expression. Au cœur de ce débat, il y avait la possibilité d’insulter l’Islam à cause de l’islamophobie qui a dépassée toutes les limites de la décence par ignorance. Alors que les Universités françaises, avec des orientalistes de renom, ont un acquis considérable dans la défense et l’illustration de l’Islam. On peut citer : Régi Blanchère, Charles Pellat, Henri Laoust, Roger Arnaldez, Mohamed Arkoun, Chouemi, Claude Cahen, Louis Matignon, Jacques Bèque.

Ils ont rendu un service incommensurable parce qu’ils ont investi dans les études arabo-islamiques, la tradition scientifique, plusieurs fois séculaires, de la grande Université française. Et ils siègent pour cela dans les grandes académies de langue arabe du Caire et de Damas.

C’est pourquoi l’ignorance est surprenante. Elle procède de la bêtise bien-pensante ou de la misère mal pensante de certains intellectuels français qui avec une délectation obséquieuse étalent à cœur joie leur islamophobie. C’est réellement la ’’bêtise française’’ comme l’avait dit Jean Paul Sartre, en Mai 1968. Il est regrettable aujourd’hui, qu’à la place de ces références sûres, les grands commentateurs de la Sunna et du Coran soient Éric Zemmour, Michel Onfray, Alain Finkielkraut ou d’autres spécialistes autoproclamés du monde arabe, professeurs à Sciences Po tels que Gilles Kepel qui polluent par leur ignorance les plateaux de télévision et contribuent à la confusion alors qu’ils n’ont même pas accès aux textes de base de la civilisation musulmane parce que n’en maîtrisant pas l’outil qu’est la langue arabe, ou en ont une connaissance plus que rudimentaire qui ne permet pas un travail scientifique, sérieux.

A cette haine jouissive, nous opposons notre sérénité irénique pour éviter les polémiques inutiles.

Ironie du sort alors qu’ils en ont après l’islam politique et le salafisme, Édouard Phillips vient magnifier la résistance téméraire d’El Hadj Omar Foutiyou TALL, l’incarnation achevée de l’Islam politique et du salafisme, empereur de vingt-huit États, qui devant la traite négrière a trouvé dans les enseignements de l’Islam et l’instauration d’un État islamique qui plonge profondément ses racines dans le salafisme (l’Islam matinal des premiers jours) pour résister à l’abomination de la traite négrière. Tel est le fondement idéologique de la lutte menée par celui que le Premier Ministre de la France est venu glorifier. Alors que dans le même temps, dans tous les débats, l’Islam est accusé de vouloir conquérir l’Europe et installé la Charia, et ils savent pertinemment que c’est contraire à la vérité. Heureusement leur vérité à eux n’est pas La Vérité. « Il cherche honteusement une vérité honteuse, bêtement une vérité bête et tristement une vérité triste, comme le disais Charles Péguy ».

De la même manière qu’ils ont eu El Hadj Oumar Foutiyou TALL devant eux lorsqu’ils ont fait main basse sur nos ressources humaines, ils doivent trouver sur leur chemin le même type de résistance. Parce qu’ils ont accaparé nos ressources naturelles.

Mais la cérémonie de restitution du sabre à la famille d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL nous donne aujourd’hui l’occasion de contextualiser la grande résistance de cet homme exceptionnel que Serigne Moustapha SY Djamil a fait aimer à ses talibés et à ses enfants. Toutes les causeries du saint homme se terminaient par la récitation de la belle ’’quasida’’ de Serigne Babacar SY à l’endroit d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL.

أعاني بشوق لم أزل فيه فانيا

تحيرت من لقيا الذي كان هاديا

شرى نفسه يبغي رضى الحق

ويرقى مقاما فات مرماه عاليا

شهير لدى السودان والبيض كلهم

يساوي به دان ومن كان قاصيا

أبوا الدين والتقوى أخو الصدق والهدى

ولم يرض ما ليس العليّ عنه راضيا

حمى ملّة الاسلام بالسف ملهدى

وأسياف أبطال من الأمــــــــر واليا

عزوف عن الدنيا إلى الله منتحى

ولي أمير المؤمنـــــــين مغازيا

جزى الله شيخي ابن السعيد أخي الندى

أبا عمر المعلوم من كان آبيا

« Je suis en proie à un désir ardent dans lequel je suis anéanti et je suis confus dans l’incapacité de rencontrer mon guide.

El Hadj Oumar a fait don de lui-même pour gagner la satisfaction de notre Seigneur, de ce fait il a gravi des stations spirituelles qui dépassent largement les intentions les plus élevées.

Très célèbre auprès des noirs comme des blancs, qu’ils soient proches ou éloignés.

Le père de la religion et de la piété, le propriétaire de la sincérité et de la bonne guidance, il ne se satisfait guère de ce qui ne rencontre pas l’agrément d’Allah, le Très élevé.

Il a protégé la religion de l’Islam par son épée à la recherche de la bonne guidance et les épées des héros les plus connus se sont ralliés.

Il s’est éloigné de la vie d’ici-bas en ayant pour objectif Allah dans toute sa grandeur. Un Saint accompli, Empereur des croyants et Chef d’Etat-major.

Qu’Allah rétribue mon cheikh, le fils de Said, le généreux, le très connu Oumar a rejeté tous ceux qui refusaient la voie d’Allah ».

Ces vers d’une extrême beauté et d’une exquise profondeur chantent les quatre dimensions d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL : la dimension éthique, spirituelle, politique et militaire réunies en un seul homme. Ces vers nous incitaient à nous arrêter sur la trajectoire de ce saint homme hors du commun qui a théorisé et mis en pratique l’Islam politique et le retour de l’Islam matinal dans un contexte où l’esclavage était pratiqué à l’endroit de nos ressources humaines : où des musulmans avec la complicité des autorités locales étaient transformés en esclaves au grand profit de l’Occident comme c’est le cas aujourd’hui de nos ressources naturelles que les grandes puissances contrôlent entièrement.

Devant une telle injustice, les marabouts du Fouta Tooro n’ont pas hésité à organiser la résistance, premier acte de la libération du Sénégal et de l’Afrique. Nous voulons revenir ici sur les étapes essentielles de cette résistance pour mieux comprendre les enjeux d’aujourd’hui et l’importance de la cérémonie de restitution du sabre à la famille d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL.

1. La résistance maraboutique du Fouta Tooro

On ne peut comprendre la force actuelle du Soufisme au Sénégal et en particulier du Tijanisme confrérie majoritaire si on ne plonge pas dans l’histoire de cette région à la fin du 17e siècle jusqu’au début du 20e siècle.

Le Fouta Tooro patrie d’El Hadj Oumar est une antique terre musulmane. Son islamisation remonte à la première moitié du 11e siècle et le pays durablement est imprégné de cet Islam militant. Le 17e siècle fut une période trouble pendant laquelle les convictions religieuses furent ébranlées par la grande chasse à l’esclave. L’ampleur déjà prise par la traite négrière avait créé dans tous les états impliqués dans ce commerce, une situation d’insécurité et d’immoralité, situation qui provoquait au sein de certaines communautés musulmanes une violente réaction qui prit l’allure d’une véritable résistance armée. Le mouvement connut sous le nom de la « guerre des marabouts » ou le mouvement de Nasr Al Din (nom de son instigateur) partit du Sud mauritanien et gagna le Fouta, le Walo et le Kayor entre 1673 et 1677. Dans tous ces pays où se faisaient sentir, les effets dissolvants de la traite négrière la masse de la population opprimée et pressurée. Elle ne se reconnaissait pas dans l’aristocratie en place.

Le mouvement des marabouts fut largement suivi, et tous les chefs locaux furent déposés.

Cette première tentative, très courageuse certes, fut défaite par les coups conjugués des chefs traditionnels et des autorités coloniales. Mais elle laissera, néanmoins une empreinte dans l’esprit des enfants du Fouta et des grands centres islamiques de Pire et de Koki. Son idéal de justice, d’égalité, et de démocratie et de retour à un Islam orthodoxe enflammeront à nouveau, un siècle plus tard, l’élite musulmane du Fouta.

La révolution Toorobé déclenchée en 1776, générée à la fois par la Cruauté de l’aristocratie locale entièrement impliquée dans la traite négrière et par la volonté hégémonique des Maures, marquera profondément l’élite musulmane. La population réduite à la pauvreté et à l’esclavage était sensible à la prédication Toorobé qui était une élite nombreuse, érudite et militante dont la perception de la générosité et de l’équité, était à l’opposé de l’attitude quotidienne de l’aristocratie locale, les Deniyanké (les Deniyanké ou Denyanké ou Deniankobe sont une dynastie peule et malinké qui régna au Fouta Tooro – Un royaume de la Vallée du Fleuve Sénégal – du 16e au 18e siècle).

Le régime peulh n’offrait aucune protection à ses sujets et ne faisait rien pour s’opposer aux incursions maures pour capturer des esclaves. Cette révolution était celles des opprimés, des sans pouvoir, dirigé par une élite intellectuelle musulmane qui a su fondre dans un même combat les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité de la Révolution française de 1789 qui découle de la philosophie des lumières.

C’est cet idéal que voulaient réaliser son instigateur Thierno Soulaymane BAAL et son successeur l’Almamy Abdoul Kader, formés en dehors du Fouta. En effet à cause de la répression maure, ils quittèrent le Fouta pour les grands centres islamiques du Sénégal dont Pire où ils rencontrèrent Saida Ousmane le père d’El Hadj Oumar. Ils participèrent avec lui au bouillonnement des idées qui annonçaient la Révolution.

Ils y effectuèrent un long séjour puis, ils entendaient préconiser, une morale et un ordre politique nouveau basé certes sur le Coran, mais qui, également, puisait dans le vieux fond culturel traditionnel et démocratique Toorodo qui voulait que le chef soit contrôlé dans ses actes. C’était une conception contraire à la réalité du pouvoir Deniyanké. Ils instituèrent le régime d’Almaniyat (qui vient de Imam). Les qualités qu’il fallait réunir pour mériter la fonction d’Almany sont autant de garanties contre l’oppression, la tyrannie et la dictature. Les fondements d’un Etat démocratique étaient créés et cela bien avant la Révolution française. Jugez-en par les règles édictées par Thierno Souleymane BAAL pour l’élection du chef :

  1. Choisissez un homme savant, pieux et honnête qui n’accapare par les richesses de ce bas monde pour son profit personnel ou pour celui de ses enfants.
  2. Détrônez un imam dont vous verrez la fortune s’accroître et confisquez l’ensemble de ses biens.
  3. Combattez-le et expulsez-le s’il s’entête.
  4. Veillez bien à ce que l’Imamat ne soit pas transformé en une royauté héréditaire où seuls les fils succèdent à leurs pères.
  5. Il ne faut jamais limiter le choix à une seule et même province.
  6. Il ne faut jamais limiter le choix à une seule et même province.
  7. Fondez-vous toujours sur le critère de l’aptitude.

Madina Ly TALL, dans Un Islam militant en Afrique de l’Ouest au 19e siècle de préciser : « le respect scrupuleux des fondements de cette nouvelle charte sous l’Almami Abdoul Kadri (1777 – 1807) fit du Fouta un espace de démocratie relative et d’une certaine prospérité »¹. Ce premier Almami régna 27 ans « il était à la fois, le guide spirituel du pays, le chef de l’armée, l’arbitre des conflits, le gérant d’un important domaine public. Tout cela lui donnait le pouvoir de contrôler réellement le Fouta. Il n’en mourut pas moins, victime d’un complot ourdi par les chefs locaux² » écrit Christion COULON qui ajoute : « Le pouvoir toorado évolue finalement par une sorte d’oligarchie théocratique ». En effet l’Almami est choisi par un collège de grands électeurs qui ne va pas tarder à imposer sa loi et prit le pas sur l’Almami qui trouve son pouvoir affaibli et instable. En 114 ans de régime toorade, la fonction d’Almami, fut remplie cinquante (50) fois et souvent le choix des grands électeurs se portait plus sur un personnage insignifiant que sur un individu apte à exercer un leadership fort.

Ces grandes familles entraînèrent dans leur discrédit la confrérie de la quadiriya, confrérie très hiérarchisée à laquelle s’était affiliée la majorité de la population toucouleure. Elles trouvèrent (les grandes familles) dans l’appartenance à cette confrérie un moyen supplémentaire d’asseoir leur hégémonie.

Cette situation devait s’aggraver avec la pénétration des autorités françaises dans le Fouta. Les relations entre les autorités coloniales et le Fouta datent du XVIIe siècle. Elles furent d’ordre marchand. Les Français s’adonnaient à la traite de la gomme et le Fouta était une zone de passage vers le pays du Galam et de Bambouck à la recherche de l’or, des esclaves et de l’ivoire. La France était devenue, avec l’essor de l’industrie du textile et d’activités secondaires comme la pharmacie et la confiserie, le grand fournisseur de l’Europe en gomme arabique dont la récolte se faisait par les esclaves des Maures pendant la saison sèche dans des conditions impitoyables. Par l’intermédiaire de la France le Sénégal pourvoyait à toute la demande de la Louisiane en esclaves et servait d’escale et de ponts de transit des négriers du golfe de guinée. Les esclaves venant de pays Bambara, considéré comme la terre promise des acheteurs de nègres, étaient les plus recherchés.

Cette traite s’est toujours effectuée sans problème parce que les chefs du Fouta très tôt ont reconnu aux français le droit de commercer et de voyager sur le fleuve en contrepartie du paiement de redevance appelées coutume.

Après la chute des Deniyanke, les Almani continueront la même politique.

La situation a commencée à se détériorer quand les Français au début du XIXe siècle envisagèrent sérieusement une installation permanente dans le Fouta. Un fort est construit à Bokol en 1818 et à Dagana en 1821. Les incidents se multiplièrent. À chaque fois que les Toucouleurs manifestaient leur hostilité les Français réagissaient par des actes de représailles, en brûlant et en pillant, pour faire exemples, tous les villages soupçonnés de complicité avec les agresseurs.

Le ton des rapports des gouverneurs devenait plus violent et insultant à l’endroit des Toucouleurs. Ainsi en 1844 le gouverneur Bouét-Willaumez déroula la stratégie de la France pour les années à venir « Travailler au démembrement de la confédération du Fouta, qui devient inquiétante pour son esprit de domination, par le fanatisme des populations et par l’étendue de son territoire. Ne lui laissons jamais commettre un acte de violence sans le châtier rigoureusement. Réduire et progressivement supprimer les coutumes. » 3

Dans la même veine, Faidherbe nommé 10 ans plus tard gouverneur, considérait que la domination militaire était la garantie de l’activité commerciale et apprécie les Toucouleurs de la manière suivante :

« Les toucouleurs, écrit-il, sont une race intelligente et perfide ; ils ont été viciés par l’Islam qui les a rendus aussi menteurs et voleurs que les Maures »4.

C’est dans ce contexte général de provocation, de répression impitoyable et d’injures qu’intervient une série de mouvements, dont celui de Cheikh Oumar est le plus connu. A l’occasion de son pèlerinage Cheikh Oumar a traversé tous les pays musulmans qui s’échelonnent de l’Atlantique au Nil. Il évalue leur organisation politique et militaire, en note les forces et les faiblesses et identifie chemin faisant, les poches de résistance à l’Islam qu’il s’est donné pour mission de réduire à son retour.

2. La résistance d’El Hadj Oumar

Cette résistance a été à bien des égards un refuge contre l’oppression. Elle intègre et dépasse la tradition toroodo, ainsi que les valeurs religieuses et politiques qu’elle portait. Elle dénonçait la trahison de la révolution toroodo par l’oligarchie à qui elle reprochait de monopoliser toutes les fonctions politiques et religieuses. El Hadj Oumar se réclamait de l’œuvre de Thierno Souleymane Baal et s’adressait à l’oligarchie en ces termes :

« Vous êtes comme des infidèles buvant et mangeant l’injustice et vos chefs violant la loi de Dieu en opprimant les faibles. » 5

Mais ne s’arrête pas à sa fonction tribunitienne (tribun de la plèbe) c’est un anti sultan « Je n’ai pas fréquenté les rois et je n’aime pas ceux qui les fréquentent ». Le Prophète a dit : « Les meilleurs chefs sont ceux qui fréquentent les savants : mais les pires savants sont ceux qui fréquentent les chefs. »6

Si El Hadj Oumar est le plus connu des résistants marabouts du Fouta Tarro, il n’est pas le seul à vouloir réformer la société toucouleure et à s’opposer à la pénétration coloniale.

D’autres marabouts, suivant l’exemple d’El Hadj Oumar, ont combattu aux prix d’énormes sacrifices. Parmi eux on peut citer :

  • Thierno Birahim, pendu en 1867.
  • Amadou Cheikhou, qui périt en pleine bataille en 1875.
  • Samba Diama qui eut la tête tranchée en 1890.
  • Alfa Moussa, initié à la Tijaniya par un disciple d’El Hadj Oumar, prit la direction de la résistance en 1894 à l’âge de 22 ans. Il fut arrêté et déporté au Gabon.
  • Ali Yoro Diop. Ce jeune de 18 ans du village de Farnaye déclarait que sa mission était de débarrasser le pays de la domination française. En mars 1908 ses troupes attaquent le fort de Dagana. Il est tué au combat. Thierno Lamine est arrêté en 1921.

El Hadj Oumar Foutiyou TALL, intellectuel brillant savait aussi jouer sur l’affect et utiliser les mots qu’il faut pour avoir un impact sur la population surtout la jeunesse. Il s’adressait aux populations du Tooro en ces termes :

« Ô population du Tooro, soyez comme nos pères du temps jadis qui étaient pétris de gloire, de pitié, de bonté et de justice. Ô population du Tooro, recouvrez votre héritage, votre patrimoine »7 .

Tribun redoutable, il était conscient de son impact, tant il est vrai comme l’analyse Mireille Bertrand. « La religion est capable de prendre en compte l’affectivité des hommes, leur besoin d’enthousiasme. En attestent des expressions telles que « le soupir de la créature accablée », « la chaleur d’un monde sans cœur » etc. qui reviennent souvent sous la plume de Marx. Et là nous touchons peut-être l’un des aspects spécifiques de la religion, par rapport à d’autres formes de conscience sociale comme le droit et la morale.

La religion parle au cœur des hommes, elle est source d’émotions. Or l’émotion l’affectivité, la passion, c’est cela aussi qui fait agir les hommes et non pas seulement des considérations rationnelles »8

El Hadj Oumar faisait agir les hommes parce qu’il savait leur parler, mais c’est surtout auprès de la jeunesse toucouleur que El Hadj Oumar recrute le plus. Comme on l’a vu Alfa Moussa n’avait que vingt-deux ans lorsqu’il rentre en résistance. Ali Yoro Diop en avait dix-huit.

Ainsi donc, la résistance des toorodo, peut se résumer ainsi : retour aux sources et à la pureté de l’Islam, appel à l’héritage culturel et religieux toucouleur, appel à la jeunesse, dénonciation de l’oligarchie corrompue, résistance contre la colonisation, tels furent les traits fondamentaux de ces mouvements, étroitement liés entre eux.

El Hadj Oumar Foutiyou mettait en pratique ce hadith du Prophète Mohamed (PSL) qui disait que : « Le meilleur de djihad, c’est la parole de vérité, adressé à un sultan en dérive ».

El Hadj Oumar, esprit perspicace, a pu intégrer et dépasser toutes les expériences du 17e, 18e et 19e siècle.

Il s’est rendu compte dès son retour de La Mecque que le Fouta avait perdu l’initiative historique dans ses rapports avec ses deux grands ennemis : la colonisation française et les Bambara. Pire, il était dominé par des princes sans culture. Il avait sombré dans un système politique où prévalaient intrigues et lutte d’intérêt, vidant de leur sens les institutions mises en place au lendemain de la révolution de 1776.

Mais plus important encore, ces mouvement se réclamaient tous de la confrérie tijane. La vieille Qadriya était trop mêlée aux classes régnantes et à leur hésitation et exactions pour pouvoir satisfaire les aspirations aux changements de la jeunesse. Le laxisme auquel elle se complaisait, face aux nouvelles inégalités, la rendait inapte à inspirer tout changement en profondeur. L’affiliation de Cheikhou Oumar Foutiyou TALL à la jeune confrérie tijane, marquait en cela déjà, une volonté de rupture avec l’ordre établi du Fouta.

Le Tijanisme au contraire apparaissait au Fouta porteur de fermeté, d’intransigeance et de pureté. Il refusait toute compromission qui aurait empêché les musulmans de vivre pleinement et totalement leur foi.

Evaluant cette longue période, le Professeur Oumar Kane « Idée et pratique du jihad en Afrique de l’Ouest de Nasr-Al-Din à El Hadj Oumar (17e -19e siècle) » de l’Université de Dakar écrit « L’échec militaire, final de ces résistances contemporains de l’effondrement de l’empire Oumarien, est lie non seulement à leur émiettement mais aussi à la disproportion des moyens militaires en faveur du colonisateur. Paradoxalement, les djihads non armés dont le succès se confond avec celui des confréries, ont réussi là où les djihads armés ont échoué.

Je veux parler essentiellement du Tijanisme avec le retour des Fergankobe et celui du Mouridisme dans les campagnes en pays wolof. Ces confréries étaient les seules forces organisées pour relever le défi de l’effondrement des Etats et pour prendre en charge les aspirations de la population … Le retour à Dieu, aux études et au travail de la terre, assure l’indépendance des populations. Si le Colon est devenue maître des corps, il a totalement échoué dans sa tentative d’être le maître des âmes »9. Et il s’y apparait une unité dialectique et une totalité contradictoire entre l’œuvre d’un empereur, El Hadj Oumar Foutiyou TALL qui a théorisé et mis en pratique un Etat islamique fondé sur les enseignements de l’Islam salafiste, mais dont les héritiers ont pu continuer son œuvre grâce à une compréhension d’un Islam religion de paix et du vivre ensemble que le Professeur Oumar KANE a restitué de la plus belle manière.

Il est aujourd’hui regrettable, que cette belle page de notre Histoire, empreinte de courage, de sacrifice, de don de soi, de fine intelligence tactique face à un ennemi puissant, ne soit pas connue de nos enfants.

Est-il simplement concevable, ou décent, de célébrer la Fête de l’Indépendance sans rappeler à nos enfants les faits et gestes de nos vrais héros, qui forcent le respect et l’admiration de tous les hommes épris de justice et de paix. Au lieu de cela nous assistons à une honteuse réécriture de l’histoire qui frise l’imposture où l’on glorifie des « événements » avec la complicité du régime, qu’aucun historien sérieux n’ose valider ni enseigner.

En fait la pensée tijane parvient à se diffuser quel que soit l’obstacle qui se dresse sur sa route. Elle emprunte à l’eau ses qualités symboliques. Mieux elle irrigue, nourrit et purifie tout ce qui se présente à son contact. Seul le tijanisme par sa vivacité, son sérieux, son dynamisme sa transversalité, sa perméabilité, et par-dessus tout sa lumière permet et autorise le traitement et l’évaluation de la question coloniale dans toute sa complexité. Comment dépasser cette contradiction formelle entre l’aspiration théologique d’une élite dévorée, et la réalité coloniale. Comment réconcilier ces deux paradigmes.

Grâce à la perspicacité de ses leaders en pays wolof le Tijanisme a su continuer sous d’autres formes le combat libérateur d’El Hadj Oumar et du mouvement post oumarien du Fouta.

David Robinson, spécialiste d’El Hadj Oumar, nous invite instamment à revisiter la notion gramscienne d’intellectuel organique pour mieux comprendre « le parcours d’accommodation» d’El Hadj Malick SY et de Serigne Touba, non seulement face à la

colonisation, mais également, pour un contrat social expliquant la relative stabilité qui règne au Sénégal. Pour mieux saisir les perspectives qu’ouvrent le soufisme et ses secteurs d’intervention, il ne serait pas inutile de s’arrêter un moment sur ce que David Robinson appelle l’apport de Gramsci dans ce domaine.

L’apport de Gramsci

De tous les penseurs marxistes, Gramsci est celui qui a montré le plus d’intérêts pour les questions religieuses. Inspiré par une lecture attentive de l’Ethique protestante de Marx Weber et par une étude approfondie du fonctionnement de l’Eglise catholique, alors qu’il était en prison entre 1927-1937, Gramsci, bien que marxiste, prend le contre-pied des thèses développées par Marx et Engels sur la religion et met en exergue le rôle historiquement productif des idées et représentations religieuses.

  1. Gramsci part de la constatation d’un paradoxe : la conception protestante de la grâce et de la prédestination, qui aurait dû, logiquement, conduire à un maximum de fatalisme et de passivité, a suscité, au contraire, une politique économique donnant naissance à l’idéologie capitaliste et à une vaste expansion de l’esprit d’initiative. Ce qui constitue un exemple classique du passage d’une conception du monde à une norme pratique de comportement.
  2. Fasciné par la Réforme protestante, et son caractère profondément populaire, Gramsci souligne dans Cahiers de prison que la Réforme luthérienne et le Calvinisme suscitèrent un vaste mouvement populaire national partout où ils se sont manifestés et plus tard une culture supérieure. Le porteur de cette réforme a été le peuple allemand, lui-même, et non les intellectuels. Bien au contraire, ces derniers ont raillé ce mouvement et Erasme disait « là où apparaît Luther disparaît la culture ». Cette attitude haineuse semble révélatrice de l’incapacité de l’aristocratie intellectuelle à saisir la nature sociale de la Reforme, grand mouvement de rénovation intellectuelle et morale, qui s’incarnait dans les larges masses populaires.
  3. Gramsci considère la Réforme protestante comme le paradigme de toutes les grandes réformes morales et intellectuelles de l’histoire moderne. Le marxisme, est lui-même héritier, selon lui, de la Réforme puisque le luthéranisme conduit à Hegel et à la philosophie dialectique allemande et le calvinisme à David Ricardo et à l’économie anglaise classique. Et le concept de rénovation intellectuelle et morale occupe une place centrale dans la philosophie de Gramsci : il signifie que la transformation révolutionnaire n’est pas uniquement une affaire économique et politique mais aussi culturelle au sens le plus large du terme.
  4. Gramsci avait une compréhension très large de l’intellectuel, incluant tous ceux qui ont pour fonction de soutenir et de modifier une conception du monde. L’intellectuel organique est celui qui surgit au sein d’une classe sociale déterminée et lui donne une certaine homogénéité et une conscience sociopolitique. Le clergé catholique a été, pendant les siècles du féodalisme, un collectif d’intellectuels organiques, au service de l’aristocratie féodale, monopolisant une série de fonctions intellectuelles : religion, philosophie, science, instruction morale, justice. etc. Dans la mesure où ils développent un esprit de corps, ces intellectuels vont se comporter comme une force autonome sinon indépendante, du groupe social dominant. D’intellectuels organiques, ils peuvent évoluer en intellectuels sans attaches.

Les thèses de Gramsci conçues à la suite de l’analyse d’une réalité sociale et historique totalement différente, celle de l’Italie des années 30, semble singulièrement s’appliquer à l’œuvre de réforme morale et intellectuelle entreprise par El Hadj Malick SY et Serigne Touba. On y observe le même caractère populaire du soufisme, la même attitude haineuse des intellectuels en son encontre, le même paradoxe d’une doctrine qui prône le détachement des choses de ce monde, mais a su fournir les exemples les plus réussis de l’esprit d’initiative grâce à la mobilisation de l’énergie spirituelle qui a inspiré les plus grandes décisions de l’histoire moderne du Sénégal.

La mobilisation de l’énergie spirituelle, mieux théorisée pour la rendre plus efficace, pourrait constituer la clef du développement de notre pays. L’élite intellectuelle, à qui incombe ce travail de mise en perspective théorique, a été en dehors du processus qui a été porté, essentiellement, par les masses populaires. Et mieux, cette élite a longtemps considéré les marabouts comme freins à notre développement. Dans le développement de l’islamophobie qui fait des ravages énormes dans la Diaspora et en particulier en France, l’élite intellectuelle francophone et arabophone sénégalaise a son rôle à jouer. Les enseignements de l’Islam confrérique tels que expliqués dans cet article devraient contribuer à donner la vraie image d’une religion de paix, d’amour, de convivialité telle que vécut dans la Tidjianya et dans les autres confréries du Sénégal.

Il serait intéressant de lire les propos des partisans de Lamine GUEYE sur Seydou Nourou TALL à la Mairie de Dakar, dans ’’Le marabout et le prince’’, de Christian COULON, quand il cite un article de la condition humaine, journal officiel du BDS, du 15 Mars 1952 : « Electeurs musulmans, vous ne voterez pas pour ceux qui organisent des expéditions punitives contre les domaines sacrés des Khalifs Ababacar SY, à Tivaoune et El Hadj Falilou MBACKE, à Touba. Vous ne voterez pas pour ceux qui dans l’ivresse du pouvoir qui vous avez mis entre leurs mains conspuent en pleine municipalité de Dakar, El Hadj Seydou Nourou TALL, descendant du vénérable Cheikh Oumar Foutiyou TALL (Le Marabout et le prince – Page 265). On gagnerait à lire l’excellent livre de Christian COULAN : Le marabout et le prince, l’Islam et pouvoir au Sénégal, surtout le chapitre concernant les marabouts comme enjeu politique.

L’esprit de l’époque est largement reflété par les appréciations de l’élite intellectuelle de l’époque.

L’exemple d’Abdou DIOUF, ancien Président de la République du Sénégal, pendant vingt (20) ans est éloquent. Dans son mémoire de l’ENFOM (1959) intitulé : L’Islam et la société wolof, il écrit : « Dans ce pays où le rôle d’une épargne locale se fait sentir le plus, il n’y en aura pas du tout, au contraire. Et cet argent ainsi récolté par les marabouts ne servira certainement pas à des fins rentables, mais plutôt à l’achat de biens de luxe ou toute autre chose que l’on peut véritablement considérer comme superflus à l’heure actuelle ; étant donné le faible niveau de développement atteint par le pays » Diouf (1959). Parlant des mourides, DIOUF poursuit : « Ils ont souvent de grands domaines et s’adonnent à la culture de l’arachide. Il ne leur en coûtera rien, car ils disposent d’une main d’œuvre gratuite et nombreuse recrutée parmi les talibés. Le phénomène n’est peut-être pas très important chez les tidianes, mais en milieu mouride, il atteint des proportions considérables. Tous les marabouts disposent d’un réservoir inépuisable de fanatiques dont le seul but dans l’existence est de contenter le moindre désir de leur chef vénéré».

A ceux qui considéraient que la confrérie a joué un rôle positif dans la mesure où les marabouts utilisent une main d’œuvre bénévole, constituée par les talibés, DIOUF estime que : « C’est là une grande erreur même si elle est commise de bonne foi. En effet, la majorité de ces marabouts ignorent la notion d’intérêt public. Ce ne sont en général que des féodaux ne représentant absolument rien, et ne vivant que par la poursuite de leurs intérêts propres ».

La sensibilité anti-maraboutique est aussi patente. Mais Diouf fera plus tard amende honorable quand il déclare en 1984, au moment de la montée de l’intégrisme :

« L’intégrisme ne m’empêche pas de dormir » et estime cette fois-ci que les confréries, à l’opposé des intégristes activistes « constitue justement la partie saine de la religion » (Le Point, 26 Mai 1985). Malgré cet amendement de ses positions de jeunesse, les arguments de Diouf reflétaient la mentalité de l’époque à une ou deux exceptions près. Le Président Senghor d’abord, qui trouvait une affinité élective et une compatibilité entre l’attitude économique des confréries et le programme officiel de l’Etat en matière de développement ; et le Président Abdoulaye Wade qui a publié en 1964 une étude chez « l’inter Africaine de l’Edition » sur la doctrine économique du mouridisme intègre, les thèses développées par Max Weber dans l’Ethique protestante et le développement du capitalisme.

Analysant les bases fondamentales du mouridisme formulées explicitement dans la trilogie science, prière et travail, le Président WADE souligne «l’importance d’une doctrine intérieure à l’Islam que l’on pourrait presque traduire comme une sorte de protestantisme musulman à la fois par son authenticité et son originalité et qui a su, au niveau de la doctrine même, concilier religion et développement ». Il s’agit, continue-t-il, d’ «une doctrine complète, homogène, harmonieuse et ouverte au progrès. Seule la méconnaissance du potentiel économique qu’elle représente, explique à notre sens, que la politique du développement ne se soit pas appuyée davantage sur elle». Il appelle de ses vœux pour que cette «étude puisse être une contribution à la compréhension de cette «richesse cachée» dans un pays pauvre». Le Président WADE a écrit ce texte au début des années 60. Il a été au pouvoir à l’an 2000, quarante ans après, on était en droit d’espérer qu’il s’appuierait, pour nous sortir du sous-développement, sur cette «richesse cachée» que le mouridisme partage avec d’autres confréries qui ont également «sanctifié» le travail.

En fait, El Hadj Oumar a été le premier à théoriser le caractère sacré du travail dans son livre AR RIMAH (La lance) quand il explique que «l’apôtre dévoué à la cause de Dieu ne doit pas se détacher complètement du monde, car celui qui n’a pas de revenus, et se fait entretenir par les autres, ressemble aux femmes et n’a aucun titre à la virilité». «Cet homme aura beau exhiber une grande barbe, un chapelet, un tapis, un turban, de l’influence sur les détenteurs du pouvoir, il n’aura aucun titre à la virilité. De ce fait, sache qu’un Cheikh, Chef de Zawiya ne peut être blâmé d’être commerçant, agriculteur ? Bien au contraire cela le rend plus parfait». El Hadj Oumar Foutiyou TALL cite un Hadith qui dit «celui qui cherche tant soit peu de revenus, pour éviter la mendicité et subvenir aux besoins de sa famille et porter secours à son voisin, celui là rencontrera Dieu et son visage resplendira comme la pleine lune». Nous avons ici une incitation très claire à gagner sa vie par le travail qui trouve chez El Hadj Oumar Foutiyou la sanctification la plus noble. Sanctification qui plonge profondément ses racines dans le Coran où Allah Tout Puissant dit :

«C’est lui qui vous a créés de cette terre et vous a chargé de la mettre en valeur».

« هُوَ أَنْشَأَكُمْ مِنَ الْأَرْضِ وَاسْتَعْمَرَكُمْ فِيهَا »

«Si les habitants des cités avaient cru, s’ils avaient su être pieux, toute les bénédictions du ciel et de la terre se seraient ouvertes devant eux sur un signe de nous».

« وَلَوْ أَنَّ أَهْلَ الْقُرَى آمَنُوا وَاتَقَوا لَفَتَحْنَا عَلَيْهِمْ بَرَكَاتٍ مِنَ السَّمَاءِ وَالْأَرْضِ وَلَكِنْ كَذَّبُوا فَأَخَذْنَاهُمْ بِمَا كَانُوا يَكْسِبُونَ »

La sanctification du travail, l’incitation à assurer son indépendance économique y compris pour les hommes religieux, tout cela dans une ferveur religieuse inentamée, voilà ce qui ressort de ces Versets et Hadith. « Entre l’homme économique et l’homme religieux, il n’y a pas de coupure radicale. C’est en fonction d’une éthique déterminée (l’éthique religieuse) que l’homme de chair et d’os, l’homme de désir et de jouissance en certaines circonstances devient l’homme économique » (Raymond ARON). Le point nodal de cette analyse repose sur le concept « d’éthique économique» que Max Weber perçoit comme une incitation pratique à l’action, enracinée dans les textures psychologiques et pragmatiques des religions. A la lumière de ce qui précède, il apparaît bien que le Sénégal possède «une richesse cachée » un gisement considérable qu’il doit mieux exploiter pour son développement : l’énergie spirituelle. La clef de cette exploitation réside dans la réponse donnée à une question de nature existentielle :

Par quels détours, l’angoisse suscitée par l’interrogation inquiète sur la finalité de notre vie sur terre, l’incertitude face au destin peuvent-ils nourrir le sentiment que seul le succès dans les affaires mondaines, ou simplement le travail inlassable dans un métier, garantissent à l’homme ou à la femme ce minimum de sérénité qui peut rendre son existence supportable ?

L’élite Africaine et Sénégalaise a atteint un niveau de rayonnement intellectuel tel qu’il serait opportun de fructifier ses larges dispositions par un épanouissement spirituel en prenant comme modèles les Saints Patrons de nos différentes confréries.

Telles sont les facettes plurielles de la trajectoire d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL. Patriote téméraire qui a illuminé de son incandescence spirituelle la voie du Sénégal et de l’Afrique pour sa libération. Les prétentions sont énormes où chacun dans son ambition, ses histoires, sa névrose tente de défendre des vérités a-historiques purement subjectives ; mais personne n’a fait autant que lui. Et c’est notre fierté en tant que tidjane. Il a su passer le flambeau à El Hadj Malick SY qui a fait preuve de créativité par une analyse fine du contexte pour porter plus loin l’œuvre d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL.

Lorsque les oulémas de la grande et prestigieuse Université d’Azhar, fascinés par l’étendue et la profondeur de ses connaissances, lui demandait quel est l’homme qui a mis au monde ce génie. El Hadj Oumar Foutiyou TALL donnait cette réponse, source d’inspiration de tous les mouvements féministes : « Demandez-moi plutôt quelle est la femme qui m’a mis au monde. Ce n’est personne d’autre qu’Adama Aïcha ».

Le Président Macky SALL, devant le Premier Ministre français a prononcé un discours de haute facture sur la vie et l’œuvre d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL. J’aurais aimé qu’il s’inspirât, au-delà des titres qu’il a donnés, des enseignements de cette œuvre par une lecture assidue pour en maitriser le contenu. Il m’a dit un jour que le livre : « Idée et pratique du jihad en Afrique de l’Ouest de Nasr-Al-Din à El Hadj Oumar (17e -19e siècle) », du Professeur Oumar KANE est son livre de chevet. C’est une excellente introduction à l’œuvre du saint homme. Je lui ai récemment proposé la lecture des Mémoires de l’ancien Premier Ministre de Singapore : Lee Kuan Yew (Singapore Story). Lecture utile dans le cadre du benchmarking du premier pays en matière de développement du capital humain.

Mais l’œuvre d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL, expliqué par Thierno Mountaga TALL dans : « L’aigle de Halwar » n’a rien de comparable pour préparer un leadership à l’éthique nécessaire pour faire face au défi du monde moderne dans un pays tel que le Sénégal où les leaders politiques font très peu cas de la morale que tout le peuple appelle de ses vœux. La solution aujourd’hui et pour toujours c’est El Hadj Oumar Foutiyou TALL, incarné et magnifié par El Hadji Malick SY surtout dans un contexte régional où l’on parle de paix et de sécurité (où paix est synonyme de guerre à l’instar de ce qui se passe au Mali où les forces françaises sèment la guerre et détruisent le pays à l’instar de ceux qu’ils ont fait en Lybie).

C’est l’occasion de mettre en exergue l’exemple du Sénégal où El Hadj Oumar Foutiyou avait comme projet politique contre l’injustice des puissances coloniales d’instaurer un Etat islamique qui plonge ses racines dans les enseignements du salafisme. Etat islamique et salafisme, concepts que les médias occidentaux utilisent avec une confusion jubilatoire, dans l’ignorance coupable des recherches de la tradition universitaire française sur la civilisation arabo-islamique.

Ceux qui ont succédé à El Hadj Oumar Foutiyou TALL en particulier El Hadj Malick SY ont pu intégrer cette expérience et instaurer un Islam confrérique source de paix, de stabilité et d’un vivre ensemble que des pays comme la France gagneraient à intégrer dans le débat contre l’islamophobie. Nous réclamons de pouvoir participer à ce débat à cause de la présence massive des disciples de l’Islam confrérique dans toute l’Europe.

Au moment où je termine les lignes de cet article, on m’annonce la mort de treize (13) soldats français de la force Barkhane, qui était censé restaurer la paix et la sécurité au Mali. Il n’y a pas eu de paix mais la guerre depuis six ans, il n’y a pas eu de sécurité mais une insécurité aggravée qui touche même les forces françaises. Plus grave encore, l’Etat s’est complètement effondré. Nous ne pouvons pas ne pas commenter cet évènement. Le lendemain de la restitution du sabre d’El Hadj Oumar Foutiyou, le forum de Dakar sur la paix et la sécurité tirait les conclusions d’une réussite totale de l’évènement. Bien sûr, il y eu de très beaux discours, mais ce qui s’est passé au Mali avec la mort des soldats français montre que les problèmes sont loin d’être résolus. C’est une situation qui nous préoccupe et nous sommes tout à fait vigilants parce que l’objectif de ces mouvements djihadistes c’est d’anéantir l’Islam confrérique. A Tombouctou, ils ont commencé à détruire les tombes des saints patrons accusés d’associationnistes. S’ils pénétraient le Sénégal, ils iraient directement à Tivaouane et à Touba. Mais comme disait Abdou DIOUF : « L’intégrisme ne nous empêche pas de dormir » parce que le soufisme dans sa richesse plusieurs fois séculaires est le meilleur antidote à l’extrémisme religieux.

Il nous appartiendra de combiner les deux évènements : la restitution du sabre d’El Hadj Oumar Foutiyou à sa famille et l’aggravation de l’insécurité au Mali pour en tirer toutes les conséquences au Sénégal.

Notre compréhension du terrorisme

L’éminent Professeur Mohamed Arkoun nous interpelle quand il dit : « La violence politique qui ravage les sociétés dites musulmanes depuis les années 90 est décrite, constatée, déplorée mais pas expliquée dans sa genèse historique, ses références doctrinales, son radicalisme meurtrier, ses objectifs brumeux, ses légitimités fantasmatiques, ses finalités eschatologiques désuètes ».

« Le mouvement terroriste prétend offrir à la Ummah (la communauté des croyants) un nouveau départ, un nouveau mode de vie, pour être heureux dans ce monde et dans l’au-delà ; en somme une vision du monde où le musulman a le beau rôle d’appartenir à quelque chose de plus grand : le groupe d’élus chargés par Dieu de rétablir la vraie religion et de réunifier la Ummah, la communauté des croyants – sous l’égide du Califat, la monarchie universelle islamique avant de se lancer à la conquête du nouveau monde, et d’obtenir le salut ».

Et Mohamed Arkoun de continuait : « Le discours islamique, politiquement dominant, veut ignorer les acquis les plus émancipateurs de la modernité, il se prive ainsi des outils de pensée et de connaissance critique pour devenir un acteur positif du monde moderne. La préoccupation éthique, juridique et spirituelle a sombré avec le renoncement durable aux débats féconds entre les grandes instances du déploiement de la raison critique : le théologique, le philosophique, le juridique, le politique, l’historique, le linguistique, l’exégétique, le sociologique, l’anthropologique ».

La situation est aggravée par des usages abstraits et trompeurs de formules comme islamisme radical, l’islam politique, fondamentalisme islamique, intégrisme, etc. Les médias assurent l’extension de cette terminologie et des ignorances sont véhiculées jusque dans les écoles et les lycées.

Pourtant des gens d’expérience ont essayé d’expliquer le phénomène.

Le terrorisme, dit Jean François Poncet, ancien Ministre des Affaires Etrangères français, n’est pas spontanément dans ce pays : « Il résulte de problèmes longtemps laissés sans solution » et ajoute-t-il : « On ne peut pas vivre avec des problèmes dramatiques non résolus où des peuples ont le sentiment qu’injustice leur est faite. Parmi ces problèmes, celui des palestiniens auquel il faut trouver une solution juste ».

Et le Président Reagan de dire : « Tout terrorisme est symptomatique de problèmes plus vastes. Nous devons nous efforcer d’extirper les causes de frustration et de désespoir qui sont les lieux d’épanouissement et les aliments du terrorisme ».

Nous assistons à une véritable manipulation des identités ethniques et religieuses pour maquiller des faits qui n’ont rien à voir avec la religion. Peut-on comprendre la guerre au Mali si on fait fi des difficultés économiques des peuples qui vivent dans la partie malienne du Sahara. Au-delà du contenu religieux qu’on veut donner à ce conflit, ce sont les données profanes, économiques, sociales et politiques qui, ici, comme au Liban, en Irak, en Palestine ou au Yémen, constituent la motivation centrale des conflits. On met l’accent sur le caractère religieux, ethnique ou tribal de ces affrontements. Cette grille de lecture a eu droit de cité depuis que le politologue américain Samuel Huntington a lancé la notion de « Choc des civilisations » qui avance qu’avec la fin de la guerre froide, les différences de valeurs culturelles, morales et surtout religieuses seraient l’origine des conflits dans le monde, réduits à leur dimension anthropologique et culturelle.

Les facteurs démographiques, sociaux, historiques, géopolitiques ainsi que les intérêts géostratégiques des structures néo-impériales et des puissances régionales sont négligés. Les vrais enjeux sont cachés et les acteurs sont désignés par leur appartenance ethnique, religieuse et communautaire.

Il convient de faire cesser cette manipulation des identités ethniques et religieuses et les analyses simplistes qui cachent honteusement la nature profane des conflits. C’est un impératif catégorique surtout en Afrique si l’on veut efficacement combattre le terrorisme.

Alain Badiou, l’un des plus grand philosophes français contemporains, nous propose une autre grille de lecture profane quand il déclare que : « Sur la trame générale de l’Occident, patrie du capitalisme dominant et civilisé, contre l’islamisme, référentiel du terrorisme sanguinaire apparaissent : d’un côté des bandes armées meurtrières ou des individus surarmés brandissant pour se faire obéir le cadavre de quelque Dieu et de l’autre au nom des droits de l’homme et de la démocratie des expéditions militaires internationales, sauvages, détruisant des états entiers (Yougoslavie, Iraq, Libye, Afghanistan, Congo, Mali, Centrafrique) et faisant des milliers de victimes sans parvenir à rien d’autre qu’à négocier avec les bandits les plus corruptibles, une paix précaire autour des puits, des mines, des ressources vivrières, et des enclaves où prospèrent de grandes compagnies. Les troupes et les polices de la guerre anti-terroriste, les bandes armées qui se réclament d’un Islam mortifère et tous les états sans exception appartiennent aujourd’hui au même monde, celui du capitalisme prédateur ».

Pour revenir à la situation du Mali, Alain Badiou insiste : « Il y a donc depuis des années voire des décennies une activité militaire incessante des états occidentaux. Il faut rappeler que les interventions militaires de la France en Afrique s’élèvent depuis quarante (40) ans, à une cinquantaine ». On peut dire qu’il y a un état de mobilisation militaire quasi chronique de la France pour maintenir son pré care vue la dimension des intérêts capitalistes en jeu surtout au Mali : uranium, pétrole, diamant, bois précieux, métaux rares, cacao, café, bananes, or, charbon, aluminium, gaz, etc..

Il suffit de réfléchir sur la situation de la Syrie, du Liban, du Yémen, du Mali, de Centrafrique, de l’Irak, de la Lybie, pour constater un dépeçage et un anéantissement

systématique des Etats. La France n’apporte ni paix, ni sécurité. Mais L’Etat malien n’existe plus : et pourtant le business continue à prospérer.

La religion est ici un prétexte, une couverture rhétorique instrumentalisée par les bandes armées qui n’ont rien de religieux, n’en déplaise à l’islamophobie.

En effet l’Islam a mauvaise presse du fait des intégristes qui font le jeu des islamophobes et massacrent des innocents. On parle beaucoup de l’Islam mais on écoute très peu ce que disent les musulmans. Leurs propos sont dilués dans le flot ininterrompu des déclarations, des discussions, des débats, des séminaires auxquels ils ne sont pas conviés. Et pourtant, ils sont considérés, virtuellement, comme une menace sur laquelle tout le monde se prononce en donnant, généralement, une interprétation à contre sens des réalités musulmanes.

Régulièrement, les médias européens et français notamment, bruissent d’alarmes sur le danger intégriste ou tout simplement sur les travers de la deuxième religion mondiale. Mais plus généralement, les enquêtes d’opinions signalent une méfiance exacerbée de la religion musulmane, ce qu’a très bien compris l’extrême droite européenne qui a largement abandonné son antisémitisme traditionnel au profit d’une islamophobie plus porteuse.

Cette islamophobie, comme toute construction idéologique, existe sous une forme vulgaire et simplifiée donnant lieu à des polémiques intéressées sur la nourriture hallal ou sur la question du voile, mais connait aussi une version plus raffinée. L’Islam devient alors une religion inconciliable avec la civilisation occidentale car elle se révélerait totalement incompatible avec ses éléments fondateurs : la modernité, la rationalité et l’économie de marché. C’est l’objectif d’un débat quotidien en France.

Il est important de rappeler, comme nous l’avons dit plus haut, que le problème n’est pas la religion en tant que telle, mais plutôt sa perversion qui la rendrait inapte à faire entendre son message qui est d’abord un message de paix. La signification du mot Islam en est une parfaite illustration. Il dérive de la racine salam, qui signifie paix en arabe. Mais au milieu de la confusion et des contresens, de la peur et de la méfiance, il existe des formes de spiritualité qui peuvent, aujourd’hui, révéler et confirmer l’apport positif de la religion dans la société. Nous pensons particulièrement au soufisme, une forme de spiritualité propre à l’Islam, qui est le mode d’existence de cette religion au Sénégal. Selon Mohammed Arkoun, il s’agit « à la fois d’un courant de pensée, d’une expérience spirituelle initiatique, d’un rapport spécifique à la parole de Dieu et à la figure spirituelle de Mohamed (PSL), d’une écriture appropriée à la description des cheminements intérieurs de chaque aspirant, disciple qui vise à devenir un maître spirituel autonome, après de lents cheminements et une rude ascèse. L’ultime étape est la fusion du je humain et du Je divin pour certains, la jonction avec Dieu dans l’Essentiel Désir (‘Ishq) nourri durant les étapes successives de la marche ininterrompue vers la fusion dans l’amour».

Nul ne peut douter du rôle que les ordres soufis ont joué dans la stabilité et la cohésion sociale et religieuse qui ont toujours fait la fierté du Sénégal. On peut dire que c’est un islam confrérique qui a permis au Sénégal, pays musulman à 95% au moment de l’Indépendance, d’élire un Président catholique qui l’a dirigé pendant vingt ans. Cependant cette influence reste peu documentée et n’a pas, jusqu’ici, reçu une attention particulière de la part des chercheurs.

Dans cette perspective, le Sénégal est le lieu d’invention, toute paradoxale, d’une nouvelle démarche en politique empruntant au référentiel du soufisme un répertoire inédit d’actions collectives. Il est aisé de voir comment la forme confrérique traditionnelle s’est réinventé une forme d’intervention sous les effets contradictoires et conjugués de la modernité occidentale et de l’Islam politique. Il serait indiqué de montrer comment le soufisme, en tant que révolution spirituelle et démocratique, peut constituer un antidote à la situation actuelle d’un monde musulman marqué par une violence aveugle, et ouvrir de nouvelles perspectives à la sécurité partagée : un projet mondial, exaltant.

Le Sénégal, pays de démocratie et de coexistence religieuse, peut servir de laboratoire dans ce domaine pour des raisons historiques d’une part, et à cause des mutations inattendues que les confréries sont en train de subir pour s’adapter à la globalisation d’autre part. En effet, se dessine la tendance générale d’un Islam séculier dans tous les domaines de la société y compris le politique, qui transforme profondément le système confrérique sénégalais actuel. Ainsi on peut remarquer comment ses différentes facettes -enjeu théologique, réservoir symbolique et ressource politique- font du soufisme un lien ambivalent d’une identité musulmane en quête de repères et un élément déterminant dans l’établissement de sociétés démocratiques comme le Sénégal, mais surtout, de sociétés ouvertes, respectueuses des cultes et garantes de ce respect.

Véritable école de construction de soi, le soufisme, doctrine majoritaire au Sénégal et qui se manifeste à travers les confréries, a su puiser dans l’immense richesse doctrinale de la mystique musulmane les éléments les plus conformes au génie négro africain : la notion de mahaba (amour) qui se focalise sur la personne du Prophète (PSL) et qui est une modalité qui insiste plus sur le développement de l’affect que celui de l’intellect.

C’est cette contribution que le Sénégal peut apporter à ce débat universel pour une réelle perception de l’Islam parce que ce petit pays et ce grand peuple a connu avec El Hadj Oumar Foutiyou TALL, la résistance contre l’injustice coloniale, a établi un Etat islamique qui repose sur les valeurs du salafisme. Tirant les leçons de cette expérience, les continuateurs ont initié et réussi une autre lecture de l’Islam pour promouvoir dans la paix, le vivre ensemble.

C’est dans cette unité contradictoire et dans cette totalité dialectique qu’il faut combiner les deux expériences. C’est l’héritage le plus fécond qu’El Hadj Oumar Foutiyou TALL, El Hadj Malick SY et tous leurs successeurs peuvent léguer au monde d’aujourd’hui.

Comprenne qui voudra.

Fait à Dakar, le 30 Novembre 2019

Serigne Mansour SY Djamil

Khalif de Cheikh Seydi Mouhamadou Moustapha SY Djamil

Co-président du Conseil Mondial des Religions pour la Paix

Député, ancien Vice-président de l’Assemblée Nationale

Ancien Fonctionnaire de la Banque Islamique de Développement

Ancien Fonctionnaire de la Banque Islamique de Développement


1 Madina Ly Tall : un Islam Madina Ly Tall dans un Islam militant en Afrique de l’Ouest au 19e siècle.
2 Christian Coulon : Le marabout et le Prince
3 Lettre de Bouët-Willamez au Ministre de la Marine, le 6 septembre 1844.
4 Faidherbe : le Sénégal dans la France de l’Afrique occidentale Paris Hachette, 1899 pages 121.
5 Carrière (F) et (P) Holle : De la Sénégambie française Paris F Diot 1855 P.359
6 F. Dumont : l’anti-sultan page 216.
7 Cheikh Moussa Camara : Bulletin de l’IFAN T32, janvier 1970
8 Michèle Bertrand « le statut de la religion chez Marx et Engels » page 53.
9 Oumar Kane : Idée et pratique du jihad en Afrique de l’Ouest de Nasr-Al-Din à El Hadj Oumar (XVII-XIX siècles)

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